A notre retour au couvent...
Marie-Jeanne nous murmura… que le dîner était servi à 19h00, à partager au milieu des pèlerins du jour… Comme nous étions gâtés ! Véritable « soirée bénie », illuminée des grâces du Seigneur et de la procession aux flambeaux à laquelle nous participions. Chapelet, sous le ciel étoilé, aux portes de l’église de l’Annonciation, à la suite de Marie, en tête, à qui nous confions toutes nos, vos précieuses et douloureuses intentions.
Nous quittions les sœurs de Nazareth et toute leur équipe, le cœur plein de cette chaleur humaine, malgré la fraîcheur apportée par la pluie, tant attendue en ce pays de sécheresse ! Les prières de la veille avaient eu leurs effets : toute l’Eglise avait invité les croyants à s’unir pour cette intention !
Pour clôturer notre séjour à Nazareth, nous retournions « voir » Charles de Foucauld pour nous remettre entre les bras du Seigneur… Dans ce lieu caché vivaient trois prêtres et un novice. Une petite chambre pouvait être mise à notre disposition si nous le voulions…
« Père, je m’abandonne à Toi…
Pourvu que Ta volonté se fasse en moi et en toutes Tes créatures… »
Nous faisions donc retraite un jour et demi, dans le silence du recueillement. Pour le nourrir, le mardi 7 au soir, des vêpres œcuméniques étaient priées. Autour du Patriarche de Nazareth et du fondateur de la Communauté du Chemin Neuf, Laurent Fabre, les chrétiens se réunissaient spécialement pour l’unité, en communion avec la fête de la Lumière. Comme à l’image de cette ville, Marie était figure de convergence et de rayonnement.
Après ces quelques jours à l’école de Jésus le Nazaréen, nous reprenions une route vallonnée, sous le ciel embrassant un doux soleil anormalement chaud de décembre. Une dernière « ligne droite », qui n’avait rien ni de ligne, ni de droite, nous attendait jusqu’à la ville sainte.
« Jérusalem ! Les montagnes l’entourent, ainsi Yahvé entoure son peuple dès maintenant et pour toujours ! » (Ps 124)
Les kilomètres se jalonnaient en fonction de notre fatigue, du soleil disparaissant de plus en plus tôt et surtout des éventuels possibles pour nos haltes de nuit. En effet, ce morceau de route nous offrait un autre confort, celui de notre campement.
« Là-haut, pour le soleil il dressa une tente, et lui, comme un époux… se réjouit, vaillant » (Ps 18).
Tel était l’état de cœur et d’allégresse de William ! Trouver un endroit en retrait, à l’abri de tout regard, souvent moyennant quelques efforts supplémentaires pour installer notre toile. Ce premier soir, malgré l’étude approfondie du terrain, nous dégustions la proximité d’un camp militaire qui se mit à faire ses tirs alors que la nuit tombait.
Au matin du 9 décembre, malgré un sommeil scabreux, la bonne humeur trouva sa place : le soleil pointait en cette date du troisième mois où nous nous étions fiancés. William, dans la respiration de sa quête intérieure, de s’écrier alors vers le Seigneur : « Envoie-moi un message clair, aujourd’hui ! »
Midi était à peine passé. Nous traversions Baqa Al Ghabbiyya, une des rares villes sur la route. William stoppa soudait net devant un « kebabier ». Sans aucune faim encore, je me doutais que la suite n’offrirait certainement guère de possible de nous restaurer et le suivis.
Bon accueil de notre commerçant, Wassim, qui nous invita à nous régaler, attestant que les salades étaient « free » à volonté. Mais impossible de savoir le prix, tout simplement « on verra après »… Nous commencions à échanger avec lui, plaisanter, nous renseigner… autour de ce petit lunch qui nous ouvrit l’appétit.
Alors que je lui demandai la facture, il me répliqua simplement : « je vous invite » ! Cela était tellement époustouflant, que je ne fus pas certaine de bien comprendre… Mais si… Et si cela n’était pas un signe clair pour mon homme qui en quémandait un, le Seigneur le prenait là « au mot » ou plutôt « à l’acte d’amour pur » ! Et nous ne pouvions que Lui rendre grâce !
Inutile de vous dire que nous renfourchions nos vélos, le cœur plein d’élan malgré la côte qui nous attendait.
Une deuxième nuit, puis une troisième sous la tente, avec cette fois-ci une prévision de tempête. On établit notre petit campement, renforçant sardines et double-toi. Le vent s’était levé et nous avions droit à quelques averses. Cette pluie était sablonneuse couleur ocre désert. Les menaces sévissant au lendemain, nous décidions de rester postés la journée dans ce petit coin de forêt à la « Merlin l’enchanteur ».
Mais en fin de journée, une réalité toute concrète nous préoccupa : aurions-nous suffisamment d’eau ? William partit à la recherche de la source indiquée sur le gps, en contrebas. La sécheresse qui sévissait depuis 8 mois n’apporta rien, évidemment. Ahh, facile d’ouvrir le robinet quand on est « home, sweet home ».
Soit nous restreindre, sans tisane du soir pour nous réchauffer alors que les températures avaient chuté, soit… recueillir l’eau de pluie et la filtrer… Les ondées étaient cependant éparses et moins fortes. Tout à coup, sans doute le Seigneur entendit-il la demande de William, une grosse averse arriva pour remplir notre bassine ! Eau certes bien poussiéreuse… mais filtrée deux fois, purifiée au micropur, nous tentions ce don du ciel.
Le magnifique feu de mon homme vint réchauffer notre début de soirée. Quelques bruits de sabots nous assurèrent que nous n’étions pas seuls. Au petit matin, malgré les premiers rayons de soleil qui nous donnèrent toute l’énergie pour nous remettre en route, la cadence préparation-rangement fut accélérée par le ciel qui s’obscurcit peu à peu. En fait, à la sortie de la forêt, le vent s’était levé, menaçant, ne laissant qu’entrevoir un ciel couleur sable, bouché à des kilomètres à la ronde. Mais nous y étions… nous décidions de continuer, malgré le danger, les rafales de vent à plus de 100 km/h par moment.
Nous n’avions qu’un seul but et encouragement de la journée : atteindre le monastère des trappistes de Latroun, à 30 kilomètres de là… Le vent violent, de face ou, pire encore, de profil, faisait chanceler nos bicyclettes.
Heureusement que la bande d’arrêt d’urgence sur laquelle nous roulions était large… car oui, nous étions sur l’autoroute, avec l’accord de la police pour la circulation des deux roues sur cette voie.
Avions-nous jamais autant désiré atteindre notre objectif ? L’épuisement, la tension dans nos bras surtout pour maîtriser nos guidons nous demandaient de redoubler de force, de vigilance. Et par-dessus tout, du faux plat ou des montées… Puis, enfin, un panneau : « Exit Latrun » et, quelques petits -mais interminables- kilomètres plus loin, un clocher…
Nous remontions une allée pour arriver par l’exploitation agricole des frères. Mauvaise entrée, mais bonne miséricorde de Dieu ! A l’arrière du monastère, juste à ce moment-là, un trappiste, frère Louis, sortit, nous fit comprendre que ce n’était pas l’accès tout public, mais, gentiment nous ouvrit les portails pour nous permettre d’atteindre sans détour l’hôtellerie…
Frère Antoine, lui aussi d’origine libanaise, nous reçut, nous mena à notre chambre, nous fit part des directives de la vie du monastère. Installés, nous n’avions qu’à peine eu le temps de prendre une douche que la tempête éclata… Dieu nous fit cette grâce : être à l’abri, au sec… Oui,
« Yahvé te garde de tout mal » (Ps 120). Alléluia !
Avec nous, à l’hôtellerie, trois autres hommes étaient accueillis : Nabil, consacré de la Communauté « Vie Nouvelle » de Nazareth ; Stanislas, de Versailles, étudiant en œnologie pour un stage ; Smaël, d’Erythrée.
Cette première nuit au monastère fut balayée par une valse de vent violent, d’éclairs, de tonnerre et nous apprenions douloureusement que ces intempéries avaient causé la mort de plusieurs personnes…
L’abbaye offrait bien entendu la possibilité de prier avec les frères. Nous nous mettions presque au rythme des moines… Oui, « presque » car pour les vigiles à 3h15 du matin, il faut « être appelés » ! - Malgré la cloche qui nous y invite fortement ! - Nous avions donc ce cadeau de faire retraite en ce temps de joie de l’Avent, en ce temps de l’attente silencieuse et cachée de Noël, avec « l’exploit » de la messe aux aurores (5h30…) et les offices qui rythmaient nos journées.
« Heureux les habitants de ta maison, ils te louent sans cesse » (Ps 83)
Entre ces moments passés sur le cœur du Seigneur, la tempête ayant laissé son manteau de poussière de sable, le ménage ne manquait pas : refaire toutes les chambres, astiquer les recoins. Plaisir donc de s’improviser en « conchita » pour le Bon Dieu et Ses serviteurs ! Sans parler de la préparation de Noël, toute cachée, loin de toute esbroufe, et encore plus loin des bonnes odeurs de braedele (vous nous en gardez de côté quelques uns ?!)
William et moi partagions nos repas ensemble avec les autres hôtes dans la joie des échanges variés, nous goutions au délice du soleil en nous promenant entre oliviers et vignoble, dont le fruit en était la principale source de revenu des moines.
La petite visite guidée par frère Antoine nous permit de réaliser la grandeur de leur exploitation et nous fit plonger dans le monde démesurément grand des cuves de 100000 litres et des caves sous-terraines où d’innombrables cépages reposaient dans des tonneaux vieux d’un siècle.
Ce « petit frère », accompagné de la tranquille présence du Père François, nous gâtaient bien ! Ils veillaient à ce que nous ne manquions de rien et notre table revêtait un caractère de fête : au cours de notre séjour, nous eûmes droit à la dégustation d’un large panel de leurs vins… Et, aujourd’hui, un clin d’œil, (enfin de bouche !) nous transporta jusqu’en Alsace : un Gewurztraminer, vendanges tardives…
Qu’Il est bon vivre en frères, à la lueur de la quatrième bougie toute vacillante d’amour et de lumière de Celui qui est-avec-nous !!
Ps: "Trappistine"... petit surnom que frère Antoine ne tarda pas à m'attribuer... et oui, bien évidemment, je participais à tous les offices !